8 oct. 2015

Ilium, tome 1






        Imaginez que les dieux de l'Olympe vivent sur Mars. Ils se déplacent librement dans le temps et l'espace grâce à leurs pouvoirs quantiques. Leur plus grand plaisir, c'est la guerre de Troie qui se joue sous leurs yeux. Pour y mettre un peu plus de piment, ils envoient des érudits terriens modifier les évènements à leur gré, en gardant toutefois le récit d'Homère comme référence. Mais en orbite autour de Mars, de petits observateurs surveillent les jeux divins.








           Comme la plupart des livres qui caressent le coup de cœur, j’ai peur de me lancer dans leur chronique, par crainte de ne pas rendre compte des qualités de l’œuvre. Comme il faut bien se lancer, je m’y colle de ce pas – j’éviterai ainsi d’oublier la moitié de mes arguments (il faudrait que je pense à prendre des notes quand je lis, ça ne serait pas que bête) !

Le premier paragraphe a de quoi laisser perplexe. Eh oui, nous sommes plongés d’emblée dans l’émotion ! Cela est du au fait que nous lisons des phrases ressemblants aux premiers vers de l’Iliade, voire sont tirées de l’œuvre même. Ainsi, j’ai eu un peu peur de retomber dans les méandres de l’épopée homérique, sans finalement trop de changement, ce qui m’aurait déplu… Enfin, j’ai aimé l’Iliade, mais je voulais découvrir autre chose… Bref ! La suite dénote directement avec le récit mythologique d’Homère, avec la présentation d’Hockenberry, un nom qui ne sonne pas du tout grec. Et pour cause, c’est un scholiaste du XXIe siècle ressuscité par les Dieux grecques. Que fait-il en plein milieu d’une guerre antique ? Qui sert-il ? Des questions soulevées dés les premières pages mais dont il faudra patienter pour obtenir réponses.
Il est assez cocasse de se voir représenter les grands héros Grecs et Troyens vus par un homme « contemporain » (pour nous). Cela permet de glisser des remarques que seul le lecteur de notre temps comprendra mais également de mieux représenter les caractères des personnages, dont les traits sont grossis jusqu’à caresser la caricature, apportant une bonne dose d’humour et parfois même de sarcasmes.
Nous pouvons considérer que ce récit reprenant l’Iliade est la trame principale de ce roman car tout va finir par tourner autour de ce pivot central.

En parallèle de cela se dressent deux autres intrigues.
Tout d’abord nous découvrons un univers poussif de la science-fiction, où les personnages se déplacent par fax et sont servis par des serviteurs et des voynix, des robots qui les préservent de tout danger. Considérés comme des post-humains, leur vie est divisée en cinq-vingt, c’est-à-dire cinq cycles de vingt années. C’est alors que nous découvrons un groupe de jeunes gens, Ada, Hannah et Daemen dont la personnalité de chacun, très divergente, va les amener à se côtoyer de manière approfondie lorsque Harman, qui entame son dernier cinq-vingt, apportera la curiosité et la soif de connaissances qui caractérisent l’espèce humaine, malgré que cette dernière ait énormément changé depuis la grande migration.
Enfin une troisième intrigue voit le jour aux côtés des Moravecs, des créatures robotiques doués d’une importante mémoire et d’une prodigieuse capacité à emmagasiner des informations à l’infini. Les représentants seront Mahnmut et Orphu d’Io, grands fans respectifs de Shakespeare et Proust et indissociables au vu de ce qu’ils subiront. En effet, une mission périlleuse leur est donnée au cours de leur intrigue, avec toutefois si peu de détails que la curiosité du lecteur ne peut qu’être attisée.
      
       Ces trois intrigues s’alternent à chaque chapitre afin que chacune d’elles puisse progresser à son allure. On prend plaisir à les retrouver tour à tour, même si certaines sont forcément préférées à d’autres selon les goûts du lecteur.
       La fin connaît une puissante accélération dans les événements et les rebondissements, avec un recoupement de la plupart des intrigues, si bien que nous comprenons enfin vers quelle destinée l’auteur faisait tendre ses personnages. Cependant, tout n’est pas révélé, et l’on devine qu’il faut lire Olympos, le second tome de ce dyptique, pour en apprendre davantage sur l’ultime bataille entre les Divinités et les mortels. Seule l’intrigue concernant Harman, Daeman, Ada, Hannah et Odysseus (qu’est-ce qu’il fout là, lui ?) reste dans un flou global, même si quelques pistes nous sont données dans les dernières pages (et si le lecteur a lu le résumé d’Olympos, il sait ce qui va se passer).
      
Bien sûr, résumé ainsi, toute l’intrigue peut paraître très brouillonne, sans queue ni tête. Je vous assurez pourtant que l’ensemble de l’œuvre forme un tout cohérent et vraiment intéressant tant par la forme que le contenu. Après tout, Dan Simmons s’amuse à dresser quelques satires de notre société, qui se repose progressivement sur les progrès de la science et qui succombe à l’apparition de nouvelles maladies liées à notre mode de vie.

Il serait trop long d’évoquer tous les personnages de l’œuvre. Ils sont en effet bien nombreux, et vous seriez rapidement lassés par l’effet liste que ce nombre induirait. D’autant plus que les plus importants de ces personnages sont cités dans le résumé ci-dessus, cela peut vous donner une idée de qui est quoi.
En revanche, je souhaiterai m’attarder davantage sur Savi. Elle n’apparaît pas sur le champ dans l’intrigue, mais son entrée en matière est l’occasion de semer les graines du doute et des incertitudes sur les conditions de vie des post-humains (et là, vous devriez comprendre qu’elle sera liée à Harman, Daeman, Ada et Hannah). En effet, elle apparait alors que les jeunes gens (si on oublie l’âge d’Harman) partent à sa recherche, entraînés par la curiosité d’en apprendre davantage sur la vie des premiers hommes (c’est-à-dire nous, finalement). Ainsi, qui est Savi ? Comment a-t-elle pu survivre quatorze mille ans sur une Terre désaffectée ? Pour quelles raisons est-elle la dernière représentante de l’espèce humaine ? Et surtout, quel est son objectif final ? Des énigmes distillées au fil du récit qui trouveront réponses à la toute fin de l’œuvre pour le plus grand régal du lecteur.
Parmi les personnages se dressent également la question des Dieux grecs. Idéalisés dans l’épopée d’Homère, ils nous sont dépeints ici comme soumis aux coups de la Destinée autant que les mortels, mais aussi comme des individus immatures, près à se quereller et se déchirer entre eux dés le soulèvement d’une opposition. Dan Simmons s’attache à glisser de l’anthropomorphisme à travers eux, mais aussi au travers des Moravecs, Mahnmut et Orphu d’Io, les deux robots qui discourent sur nos écrivains. Au travers de cela, c’est l’humanité du lecteur que l’auteur cherche à atteindre (ou alors, je pars encore dans mes délires littéraires, désolée..).

Pour de la science-fiction, je ne sais pas pourquoi mais je m’attendais à un style lourd, difficile à appréhender, très carré et structuré. J’ai eu la grande surprise de découvrir au contraire quelque chose de très littéraire, fluide et entraînant.
Bien sûr, il y a un mélange de style : Achille ne va parler comme Zeus, qui ne parlera pas comme Mahnmut, qui ne parlera pas comme Savi ou Harman. Dan Simmons construit un jeu de langages et de styles variés, et sa maîtrise de l’ensemble renforce son génie.

De manière plus subjective (enfin, à peine !), Dan Simmons est tout simplement un génie, capable de nous captiver avec très peu de matière, ou du moins une matière étirée sur un grand nombre de pages (ou de temps, dans le livre).
D’une part, la science-fiction est très bien installée par des termes très scientifiques qui nous immergent complètement dans cette atmosphère de physique mixée à la mythologie grecque.
D’autre part,  il maîtrise à merveille l’épopée homérique de l’Iliade avec le foisonnement des personnages, leur lignée (parce qu’il n’est pas simple de savoir qui est le fils de qui, combien il a de frères, etc), leur caractère, les moments de leur apogée ou au contraire de leur mort. Autant dire qu’il faut avoir lu l’œuvre de long, en large et en travers, avec en annexe un important travail de documentation et d’analyse. Mais d’autres œuvres sont citées en parallèle, avec autant d’importance que l’Iliade, comme La Tempête de William Shakespeare ou encore des références aux textes de Marcel Proust.
      
       Je tiens à préciser qu’il ne doit pas être obligatoire d’avoir lu toutes ces œuvres pour comprendre le récit. Dan Simmons les maîtrise bien assez pour retranscrire ce qui est nécessaire à la compréhension du lecteur. Bien sûr, connaître d’avance les romans évoqués apportent un plus pour comprendre l’humour de l’auteur et quelques petites allusions, mais cela ne gêne pas si on met cela de côté.

       Comme je viens de le signaler, l’humour, qu’il soit sincère ou cynique, détient une place prépondérante dans l’ensemble du texte, revigorant ce dernier et apportant une touche de légèreté et de liberté sur l’adaptation littéraire.

       Je pense que le seul point négatif réside dans la répartition des temps au cours du récit. En effet, si on a une accélération des diverses intrigues, avec notamment un énorme recoupement entre elles, le début et le milieu sont assez longs, l’auteur prenant le temps de mettre en place la rébellion et ses nombreux personnages. Pour les lecteurs qui ne sont pas habitués à tant de longueurs, le risque est qu’ils peuvent décrocher facilement, d’autant plus si la science-fiction n’est pas leur genre favori.
       De mon côté, ces différences de rythme est justement un point positif. Cela permet de prendre le temps d’appréhender les mondes dans lequel nous sommes envoyés, autant que les personnages, et ainsi de mieux apprécier l’univers dépeint.

       Le gros point positif de cette œuvre, c’est que Dan Simmons prouve à tout le monde qu’il est possible d’adapter des œuvres dites classiques, voire antiques, à un public contemporain, suscitant ainsi leur curiosité face à elles. Les plonger dans de la science-fiction, il fallait y penser : Dan Simmons l’a fait et publie un livre vraiment énorme !
       Philippe Curval disait qu’ «il y a tant d’idées dans Ilium qu’elles pourraient servir à une génération d’écrivain». Il faut croire qu’on aurait pu dire la même chose d’Homère et de Shakespeare.

       En conclusion, splendide, grandiose, puissant. Je lis très peu de science-fiction, si bien qu’Ilium m’a vraiment percutée. J’ai eu peur de manquer de connaissances pour affronter cette œuvre de grandes envergures, mais Dan Simmons maîtrise parfaitement son sujet si bien que nous ne sommes jamais perdus. Que dire de plus ? Le style est complet, les personnages foisonnent, le plaisir va crescendo jusqu’au recoupement final des trois intrigues, avec une insidieuse impression que cela part dans tous les sens, mais où l’on suit l’auteur dans son délire avec un plaisir toujours plus grand. Je devine d’avance que je ne m’arrêterai pas à une lecture d’Ilium. Un coup de cœur avéré dés les premiers chapitres !





Les autres titres de la saga :
1. Ilium
2. Olympos

- Saga terminée -


4 commentaires:

  1. Tout à fait d'accord avec toi. Ce que je relève en plus, de ce que tu as écrit, c'est qu'il y a chez Dan Simmons un côté spectacle à l'américaine, divertissement et c'est pourquoi, ses romans, même s'ils sont érudits par moments, sont toujours tournées vers le plaisir du lecteur.

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    1. Ah, le côté spectacle américain ne m'a pas frappé, mais faut dire que c'est une culture que j'observe peu/qui m'intéresse pas donc je perçois pas forcément les références. Mais maintenant que tu le dis, je suis assez d'accord, que ce soit dans l'univers avec les dinosaures ou celui de l'Antiquité.
      En tout cas, je suis contente qu'il t'ait plu ! :D

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    2. C'est pas tant les références directes qu'un état d'esprit décomplexé, qui ose tout, en ayant souvent en tête, le plaisir du spectateur/lecteur avec le rythme ou de l'action.
      Je ne vois pas un écrivain francais oser mettre des dinosaures et la guerre de Troie selon Homère dans un roman SF.

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    3. Je comprends mieux ce que tu veux dire. Mais oui, tu as raison. Encore que, Karim Berrouka serait capable, vu son Club des punks contre l'apocalypse zombie.

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